Sébastien du bassin d’Arcachon

Pain au chocolat ou chocolatine : l’article de références

Rédigé le Vendredi 24 Octobre 2025 à 08:00 Mis à jour le Mercredi 22 Octobre 2025


On dit chocolatine ou pain au chocolat ? Découvrez enfin les arguments indiscutables pour défendre votre camp. (et faire taire ceux qui croient toujours tout savoir)


Introduction – Le feuilleté des mots et des territoires

On dit chocolatine ou pain au chocolat ?
On dit chocolatine ou pain au chocolat ?
Chocolatine ou pain au chocolat ?

La France a le génie de transformer les querelles de vocabulaire en batailles culturelles.

Parmi les plus emblématiques, celle qui oppose pain au chocolat et chocolatine dépasse depuis longtemps la simple viennoiserie.

Ce désaccord, qui enflamme les réseaux sociaux et divise les régions, interroge en réalité la manière dont la langue française s’est façonnée : entre uniformisation nationale et résistance locale.

La question posée ici n’est donc pas « qui a raison ? », mais « pourquoi deux mots ont-ils survécu ? »

Je vous laisse réfléchir 2 secondes à cela avant d’enchaîner.

Comment un même produit, apparu dans le Paris du XIXᵉ siècle, a-t-il pu cristalliser deux appellations distinctes jusqu’à devenir un marqueur identitaire durable ?

C’est cette trajectoire historique, linguistique et culturelle que je vais essayer de retracer par des références historiques et scientifiques précises (et citées) faisant de cet article, l’article de références à propos de la chocolatine et du pain au chocolat.
 
 

I. Naissance d’une viennoiserie à la française

Boulangerie viennoise 92, rue de Richelieu à Paris autour de 1909
Boulangerie viennoise 92, rue de Richelieu à Paris autour de 1909
1. La “Boulangerie viennoise” et la naissance du feuilleté moderne

En 1839, August Zang, officier autrichien, ouvre à Paris sa célèbre Boulangerie viennoise, au 92 rue de Richelieu.

Il y introduit la pâte levée feuilletée et des produits inspirés du Kipferl viennois — ancêtre du croissant —, qui séduisent rapidement la bourgeoisie parisienne.

Cette influence est documentée par Alan Davidson dans The Oxford Companion to Food (Oxford University Press, 2006) et par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari dans Histoire de l’alimentation (Fayard, 1996).

C’est dans ce contexte d’hybridation culinaire qu’apparaît le pain au chocolat, dérivé des petits pains briochés auxquels on ajoute du chocolat pour les enfants des familles aisées.
 

2. Les premières attestations du “pain au chocolat”

Le terme est attesté à Paris dès la seconde moitié du XIXᵉ siècle.

Les archives de la Bibliothèque nationale de France mentionnent :
  • Journal des débats politiques et littéraires, 12 avril 1862 : annonce de “pains au chocolat frais chaque matin chez Bailly, rue de Richelieu”.
  • Joseph Favre, Dictionnaire universel de cuisine pratique (1894, t. III, p. 1476) : “Petits pains au chocolat, pâte à croissant garnie de barres de chocolat.”
 
Le produit est donc parisien, bourgeois, et son appellation “pain au chocolat” correspond à une logique descriptive — un pain garni de chocolat — sans dimension régionale.
 

II. L’apparition de la “chocolatine” : un mot du Sud-Ouest


1. Les premières traces écrites

La première attestation connue du mot chocolatine remonte à la fin du XIXᵉ siècle :
  • Bulletin de la Société de linguistique de Paris (t. IX, 1896) : mention du mot dans le parler de la Haute-Garonne.
  • Revue de Gasconha, n°14, 1904 : “Les enfants réclament des chocolatines, mot inconnu des Parisiens.”
  • Archives municipales de Bordeaux (fonds Delmas, 1902) : facture d’un boulanger mentionnant “chocolatines (douze)”.
 
On voit donc émerger un mot propre au Sud-Ouest, déjà clairement distinct du lexique parisien.

Le linguiste Pierre Rézeau (dans Dictionnaire des régionalismes de France, Champion, 2001) confirme que chocolatine s’est imposé dans les parlers gascons et occitans dès le début du XXᵉ siècle.
 

2. Hypothèses étymologiques

L’origine du mot chocolatine pourrait être Schokolade ou chocolat in
L’origine du mot chocolatine pourrait être Schokolade ou chocolat in
Trois pistes principales se disputent l’origine du terme :

a) Formation française interne :
chocolat + suffixe -ine, productif à la fin du XIXᵉ siècle (comme tartine, mandarine).
→ Hypothèse soutenue par le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) et par Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert, 2016).

b) Emprunt germanique :
L’allemand du XIXᵉ siècle connaît Schokolatine, diminutif affectif de Schokolade, attesté dans le Grammatisch-kritisches Wörterbuch d’Adelung (1871).
→ Hypothèse reprise par Rézeau (2001), plausible compte tenu de l’influence autrichienne sur les viennoiseries.

c) Contact anglo-bordelais :
Bordeaux étant au XIXᵉ siècle un grand port britannique, le mot chocolate aurait pu inspirer la forme chocolatine par francisation phonétique.
→ Hypothèse évoquée par Jean Tournier, English Influence on French (Oxford, 1991).

Aucune hypothèse n’est unanimement validée, mais la plus crédible reste une création morphologique française locale, peut-être influencée par l’allemand.
 

III. Une géographie du mot : la France coupée en deux


Il y a d'autres termes que chocolatine ou pain au chocolat pour désigner la viennoiserie de la discorde. - Mathieu Avanzi / Armand Colin
Il y a d'autres termes que chocolatine ou pain au chocolat pour désigner la viennoiserie de la discorde. - Mathieu Avanzi / Armand Colin
Les données collectées par Mathieu Avanzi (Université de Neuchâtel) dans L’Atlas du français de nos régions (Armand Colin, 2017) et dans le Projet Français de nos Régions (CNRS, 2015–2017) confirment la stabilité de la frontière linguistique.

84 % des francophones métropolitains disent pain au chocolat.

16 % disent chocolatine, concentrés dans les départements du Sud-Ouest : Charente, Dordogne, Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Haute-Garonne, Tarn, Lot-et-Garonne, etc.

Le mot s’exporte au Québec, où il est aujourd’hui d’usage courant, probablement via la migration d’ouvriers et de religieux du Sud-Ouest (attesté dans l’OQLF dès 1935).

Cette répartition est ancienne : des cartes dialectales de l’Institut de linguistique romane (CNRS, années 1950) montrent déjà la même frontière.

On parle ici d’une variation géolinguistique stable, non d’une “erreur” de vocabulaire.
 

IV. Les dictionnaires et les normes : la hiérarchie des mots


1. Le verdict des institutions linguistiques

Pas de chocolatine pour l’Académie française mais il y a bien pain au chocolat
Pas de chocolatine pour l’Académie française mais il y a bien pain au chocolat
  • Académie française (Dictionnaire de l’Académie, 9ᵉ éd.) : seule la forme pain au chocolat est enregistrée.
  • CNRTL / TLFi : chocolatine apparaît comme “régionalisme du Sud-Ouest (et du Canada)”.
  • Larousse : “Pain au chocolat (nom donné dans le Sud-Ouest à la chocolatine).”
  • Robert illustré : reconnaît chocolatine comme variante régionale.
  • Office québécois de la langue française (OQLF), Banque de dépannage linguistique, 2015 : “Chocolatine : terme correct, usuel au Québec, équivalent de pain au chocolat.”

2. Usage et corpus

Utilisation des termes chocolatine et pain au chocolat depuis 1850
Utilisation des termes chocolatine et pain au chocolat depuis 1850
L’analyse Google Books Ngram Viewer (1900–2020) montre que pain au chocolat est 30 à 40 fois plus fréquent dans les corpus français globaux.

Mais les corpus régionaux (journaux de Bordeaux, Toulouse, Agen) inversent la tendance dès les années 1950.

La standardisation lexicale est donc nationale, mais pas totale : les usages régionaux persistent avec une remarquable vitalité.
 

V. Quand la langue devient symbole : sociolinguistique et politique du mot

1. Une résistance identitaire

Le linguiste Louis-Jean Calvet, dans La guerre des langues (Plon, 1987), décrit comment les régionalismes deviennent des symboles de résistance face à la centralisation linguistique.
Dire chocolatine dans le Sud-Ouest, c’est s’affirmer différent, fidèle à une tradition régionale.
C’est un acte de parole enraciné, presque militant — comme dire gavé bon ou pitchoune.

2. La bataille parlementaire

En novembre 2018, des députés, proposent un amendement symbolique visant à inscrire le mot chocolatine au patrimoine immatériel de la France.
Le Compte rendu intégral n°56 de l’Assemblée nationale (séance du 21 novembre 2018) en garde trace.
L’amendement fut rejeté, mais l’épisode illustre la puissance émotionnelle du mot : une viennoiserie devenue drapeau.

3. L’humour et l’autodérision comme arme linguistique

Les travaux d’Avanzi et Le Dû (Langage et société, n°168, 2019) montrent que la revendication du mot chocolatine s’exprime aujourd’hui sur le mode humoristique : mèmes, débats radio, hashtags (#TeamChocolatine vs #TeamPainAuChocolat).

La rivalité s’est transformée en rituel national, un clin d’œil linguistique partagé.
 

VI. Analyse : entre lexique, histoire et identité


Les dialectes-régiolectes de la langue française au Moyen Âge
Les dialectes-régiolectes de la langue française au Moyen Âge
1. Une coexistence stable

Loin d’être un affrontement, la coexistence des deux mots relève d’un phénomène bien connu en sociolinguistique : la variation diatopique (selon le lieu).

Comme brioche vs gâche, ou pain au lait vs viennois, les deux termes remplissent la même fonction sémantique dans deux aires linguistiques différentes.

L’historien Jean-Pierre Poulain, dans Sociologie de l’alimentation (PUF, 2002), y verrait l’effet d’une gastronomie “à deux vitesses” : un centre normatif et des périphéries vivantes.

2. Une symbolique du local

Dire chocolatine, c’est dire je ne suis pas de Paris.

La force de ce mot vient précisément de sa marginalité : il crée du lien social au sein d’une communauté linguistique locale.

Il illustre la théorie de Calvet sur la “glottophagie” — la tendance d’une langue dominante à absorber les variantes — et la résistance des idiomes périphériques.
 

VII. Conclusion – Le mot et la mémoire


L’ innocence au-dessus du débat.
L’ innocence au-dessus du débat.
Au terme de ce voyage, on peut trancher sans blesser 
 
  • Historiquement, pain au chocolat est la forme première, née à Paris vers 1850.
  • Linguistiquement, chocolatine est une création régionale autonome attestée dès 1896.
  • Sociologiquement, leur coexistence traduit la tension permanente entre unification et diversité.
 
L’historien des mots constate donc une évidence : la France a deux vocabulaires pour un même plaisir, et cette dualité est un trésor plutôt qu’une anomalie.

Car au fond, le pain au chocolat parle de tradition, la chocolatine parle d’appartenance.

Bibliographie

Sources primaires :
  • Journal des débats politiques et littéraires, 12 avril 1862.
  • Favre, Joseph, Dictionnaire universel de cuisine pratique, Paris, 1894.
  • Bulletin de la Société de linguistique de Paris, 1896.
  • Revue de Gasconha, n°14, 1904.
  • Archives municipales de Bordeaux, fonds Delmas (1902).
 
Études et dictionnaires :
  • Davidson, Alan, The Oxford Companion to Food, Oxford University Press, 2006.
  • Flandrin, Jean-Louis & Montanari, Massimo, Histoire de l’alimentation, Fayard, 1996.
  • Rey, Alain, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 2016.
  • Rézeau, Pierre, Dictionnaire des régionalismes de France, Champion, 2001.
  • Tournier, Jean, English Influence on French, Oxford University Press, 1991.
  • Avanzi, Mathieu, Atlas du français de nos régions, Armand Colin, 2017.
  • Avanzi, M. & Le Dû, M., “La chocolatine, ou l’humour comme marque identitaire”, Langage et société, n°168, 2019.
  • Calvet, Louis-Jean, La guerre des langues, Plon, 1987.
  • Poulain, Jean-Pierre, Sociologie de l’alimentation, PUF, 2002.
  • CNRTL, entrée “chocolatine”, 2024.
  • OQLF, Banque de dépannage linguistique, 2015.
  • Assemblée nationale, Compte rendu intégral n°56, 21 novembre 2018.
  • Larousse.fr et Le Robert en ligne, consultés en 2025.

LA REPONSE A LA QUESTION : ON DIT CHOCOLATINE OU PAIN AU CHOCOLAT

Le pain au chocolat est l’héritier d’une tradition parisienne du XIXᵉ siècle.

La chocolatine est son reflet gascon, forgé dans le brassage des langues du Sud-Ouest.

Aucune n’est fautive ; toutes deux racontent une France plurielle. 

Sébastien Sabattini
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